L'HOMME, LE TORO, LA FAUX.

 

L'homme, le toro et la faux.

 

 

 

    L’homme armé d’une minuscule épée fait face à la bête. Leurs regards se croisent. Le temps s’arrête. Le combat encore palpable dans leurs esprits, prend son envol dans l‘arène. La mort aussi est là, depuis le début, elle rode, elle jauge, elle tourne en dansant comme un squale, attiré par les effluves du sang. Matador et taureau, tous les deux sentent le souffle de sa faux.

 Instant magique, taillé comme une pierre. Chaque facette de ce diamant, vous envoie en pleine gueule, la douce violence de leurs ballets, la foudroyante intensité de leurs danses érotiques. Mais l’arène se tait. Pour eux deux, tout devient vital. Ils sont seuls, avec Elle. Leur bulle de solitude n’admet pas de fuite, mais leur intelligence veut repousser un peu la suite. L’homme pense:

 - Nous avons bien combattu mon ami, aller viens, partons.

 Le taureau réponds :

 - Le combat a été dur, mais un seul d’entre nous doit en sortir debout, c’est la règle chez nous !

 Bien sûr, les conseils de la mort sont déjà passés par là. Elle ne va pas abandonner sa pitance, et repartir les mains vides dans l’au-delà. L’homme ou la bête, qu’importe, tout est bon pour sa quête.

 -N’écoutes pas le funèbre message de cette folle, viens taureau restons en là. Je veillerai sur toi. Je soignerai tes blessures dans ma grande maison entourée de pâtures.

 - Ah, c’est bien là une pensée humaine, si maintenant je pars, si à cet instant j’arrête, alors tu seras le vainqueur, et à moi le déshonneur. Inutile d’essayer de vivre avec un tel fardeau.

 -Tu as raison taureau, dis la femme à la faux. La passion des hommes pour moi n’est pas un fait nouveau. Ils me haïssent mais ils m’admirent, friand du mystère que je leur inspire. Si tu savais ce que ces fous, souvent pour un lopin de terre, m’envoient sans pitié par milliers leurs congénères. Tue-le. Ne crois pas cette belle proposition. Si tu arrêtes le combat, qu’importe pour moi, ils t’abattront, et ensemble nous repartirons.

 - Vieille folle, tu parles pour ton royaume, d’où personne ne revient. Pourtant tu sais bien, l’homme depuis longtemps ne croit plus en ton refrain. S’il y a encore des gens en guerre, c’est souvent pour échapper à la misère. Ici, rien de tout ça. Seulement un combat, propre et loyal, dont la fin n’a rien de fatal. Aller, viens mon ami, arrêtons là la bataille.

 - Impossible Homme, il faut qu’un seul de nous deux vivant, s’en aille. Avec Elle, l’autre se mariera. Reprenons le combat. Mais ne lui laissons pas la chance de nous prendre tous les deux. Ne forces pas ton destin, finissons en si tu veux. Je fatigue, mon sang et mes forces m’abandonnent. Mais saches que je ne plierais pas les genoux. Si Elle doit me prendre, Elle me prendra debout.

 - Alors, c’est fini. Elle a gagné, déjà tu baisses le cou, et de tes naseaux sort le courroux. Adieu taureau, il faut en finir avant que sonne la trompette.

 Un, a fait le premier pas, hélas l’autre a fait le reste.

 

   Édouard Pailhès janv. 2008